C’est donc vendu, on se dirige vers la Tête de la Maye dès le lendemain. Direction la Bérarde après une petite heure de voiture, “la Mecque de l’alpinisme” selon le Guide du Routard, ce hameau duquel partent un grand nombre de randonnées. On arrête la voiture sur un parking, on repère la Tête de la Maye parce qu’on l’a cherchée sur Google la veille.
– “c’est haut.”
– “ah ouais.”
On ne fait pas spécialement attention à la température qui monte gentiment, il est 11h et un pique-nique nous attend en haut. La végétation est sèche autour de nous, les roches sont blanches et poussiéreuses et on attaque la montée avec un entrain inconscient. Précisons ici : la Tête de la Maye est connue pour ses multiples voies d’escalade.
C’est donc une montée abrupte de 2h30 qui nous attend, sous un soleil de plomb. Parfois il y a un chemin à suivre, et par moment ce sont des passages câblés, des barreaux métalliques histoire de mettre à l’épreuve nos muscles et mon vertige. “Ne regarde pas en bas”, je me répète inlassablement. On tourne autour du sommet, on zig-zag, on s’accroche, on se hisse. Il fait chaud, le soleil tape fort et j’ai besoin de faire des pauses régulières. Quand bien même, l’on voit se dessiner autour de nous un paysage somptueux, en plein cœur du Parc National des Ecrins. De quoi raviver notre motivation et donner quelques vigoureux coups de pied aux fesses pour les derniers mètres. Il reste une petite échelle, pas bien haute. Un barreau après l’autre, je grimpe et Celim me suit. Je pose les mains à plat, donne une dernière impulsion de la jambe pour transvaser le poids de mon corps vers le haut et vers l’avant. Nous sommes arrivé.e.s sur un petit plateau de roches lisses, il y a des carrés d’herbe verte et beaucoup de vent. Je me relève et regarde autour de moi.
Là, à 360 degrés autour de nous, la montagne, ses sommets et ses vallées. Je me plie en deux, de fatigue, d’émotion, de contentement et je lâche un sanglot, un seul. Celim se rapproche, me prend par la main et on marche un peu là, on en croit pas nos yeux. C’est calme et puissant. Il nous reste quelques mètres à faire pour se situer “vraiment” au sommet ; je me sens essorée, incapable de faire le moindre mouvement de plus. Je puise dans mes dernières forces et on atteint le point culminant. L’émotion reste la même, le panorama est fabuleux et le décor est tout désigné pour notre pique-nique du jour.
On reste perché.e.s une petite heure, il y a du vent mais pas assez pour nous déstabiliser. Le soleil continue à cogner fort, on a sorti les casquettes depuis un petit bout de temps. On s’installe sur un petit banc en bois et on récupère en épluchant nos carottes. On est fièr.e.s de nous, on rigole et on fait les clowns. On se dit que le plus dur est fait.
Oui, sauf que. Grimper des échelles et se hisser avec un câble au-dessus du vide, c’est déjà pas super simple. Je découvre que les descendre c’est encore une autre paire de manches. Là où, à la montée, l’on peut faire attention à l’endroit où l’on pose son regard, à la descente il faut être en mesure de savoir où l’on met son pied. Je rigole tout de suite beaucoup moins. C’est donc les mains moites et les fesses serrées que j’attaque la descente, la larme à l’oeil, le cœur en panique, et le pied tremblant. C’est dur, mais j’avance.
Une fois que l’on atteint la terre ferme et que les passages “échelles – câbles” se calme, je reprends du poil de la bête. Ce sont les genoux de Celim qui souffrent sur la fin, mais on avance sereinement jusqu’au petit parking où est resté garée la voiture. Arrivé.e.s en bas, on jette un dernier coup d’oeil au sommet.
– “c’était haut quand même.”
– “oui c’était haut.”
On retourne au même camping le soir-même, pas le courage de chercher un autre lieu pour dormir et celui-ci possède une piscine qui se montrera bien accueillante avec cette journée chargée en émotions. “Des vraies vacances”, comme on dit !
*
Le lendemain on la joue cool et on se rend à l’”un des plus beaux villages de France” avant un arrêt rapide à Grenoble, La Grave. On a une idée derrière la tête, puisque le village se situe au pied de La Meije, une montagne du bassin d’Oisans. On a bien envie de lui faire un coucou mais la grande dame se montre timide ce jour-là, emmitouflée dans son chapelet de nuages gris et froids. Il y a des téléphériques qui s’en rapprochent, on les voit monter et descendre lentement et on se demande si cela vaut vraiment la peine de les prendre pour se retrouver dans un brouillard dense. On fera donc le tour du Village à pied, cherchant un coin pour grignoter et éventuellement repartir dans la foulée.
Pendant le repas, le vent se lève et dévoile peu à peu les versants de la montagne. Lorsque l’on lève le nez, on croit en apercevoir le sommet, mais il s’assombrit aussitôt. Est-ce qu’on tente le coup de poker ? Après tout, on est au pied du téléphérique. On décide finalement qu’on n’est pas venu.e.s pour rien. Le dernier tronçon du téléphérique est fermé en raison du vent, mais l’on peut déjà progresser un peu et gagner en altitude : on se lance.
Les 30 minutes de téléphériques sont épiques : ici se mêlent mon vertige et ma peur panique de l’accident. C’est un vrai supplice et je me maudis de persévérer à utiliser ce genre de moyens de transports. “Non mais je le sais, je déteste ça, j’ai peur de mourir et je m’entête à rentrer dans ces machins fermés qui peuvent s’écraser d’un moment à l’autre”. Après une demi-heure de plaintes et de gémissements pendant lesquelles Celim fait preuve d’une patience exemplaire (en vrai, il a l’habitude), on arrive au pied de la Meije, il fait beau, et on a une vue dégagée sur son sommet.
Tout. Va. Bien.
On se pose la question 4 secondes d’une randonnée dans le coin, vite balayée d’un revers de la main. Aujourd’hui on ne fait rien. On s’allonge simplement face à la montagne, on sort les lunettes de soleil, on inspire, on expire : ici on est bien. On entend à peine le son des autres personnes au loin, on est dans notre bulle et c’est bien assez ainsi. (Je garde dans un coin de ma tête l’idée que, si je suis montée en téléphérique, je devrais redescendre en téléphé-… Bref. Chut.) Et donc : retour, descente, voiture, et direction Grenoble pour retrouver (et faire connaissance avec) le copain perdu de vue depuis dix ans.
*
Pour résumer Grenoble : des bières, un chien-peluche de la taille d’une commode, une photo fesses à l’air sur les rails du tram, des bières, une lessive (il était temps), des bières dans un parc, de la bienveillance et encore des bières. On se réveille un peu dans le flou et les cheveux de Celim ne tiennent plus droit. C’est pas grave : aujourd’hui on se rapproche du point culminant de nos vacances, le Tour des Dents Blanches. On décide de se trouver un petit hôtel bien comme il faut pour une nuit au calme avant d’attaquer la grosse rando sur trois jours qu’on prévoit depuis quelques mois déjà. On s’arrête donc à Samoëns, une petite commune française située en Haute-Savoie et jouxtant la Suisse. L’hôtel que l’on a réservé dispose d’un spa, une piscine couverte et un jacuzzi : gros luxe pour deux personnes et ça tombe bien, puisque c’est l’anniversaire de Celim. On cherchera longtemps un restaurant pour fêter ça, mais ceux-ci sont tous complets, même après un petit tour en voiture. On ne se décourage pas et on tombera finalement sur une petite enseigne familiale, qui nous ouvrira ses portes (et son étage) pour un repas en tête à tête. Le lendemain matin, on profitera jusqu’à la dernière minute de la piscine couverte et du jacuzzi, alternant l’un et l’autre avec des passages au sauna, pieds nus sur la moquette de l’hôtel et serviette autour de la taille. Cette petite parenthèse opulente remettra les compteurs à zéro avant d’entamer la partie la plus musclée de notre séjour.