Est-ce que c’est la nuit dans un vrai lit qui nous a retourné le cerveau, le 13ème jour passé sur cette île qui semble avoir des pouvoirs magiques ou l’odeur des pancakes chauds dans les couloirs de l’hôtel ? On ne saura jamais, mais ce jour-là on prend une décision un peu folle.
Il nous reste 48h en Islande, on est frai.che.s et reposé.e.s, on regarde une dernière fois la grande carte dépliée … Les principales routes sont désormais ouvertes, et il reste encore le Landmannalaugar, l’un des sites volcaniques les plus spectaculaires d’Islande qu’on rêvait de faire, et qui manque à notre voyage. On fait nos calculs, on a bien 4-5 heures de route depuis Keflavik, c’est un peu fou comme projet mais on décide de faire l’aller-retour dans la journée et de passer notre dernière vraie nuit à Selfoss. 8 heures de route dans la journée, avec rando au programme, même pas peur.
Grosse excitation au départ, le Landmannalaugar c’est quand même le premier lieu sur lequel on s’était arrêté quand on parlait de notre parcours. On se met donc en route, reposé.e.s et impatient.e.s ; même le ciel gris ne parvient pas à atteindre notre moral. La route jusque là-bas est compliquée, on le sait d’avance. On rejoint la F208 depuis la route 26 et c’est comme si l’on entrait dans un monde parallèle. C’est un sentiment très fort, qui ne m’a pas lâché tout le temps de notre présence dans ce paysage absurde. Il arrive un moment où l’on passe un col, les virages sont serrés, on ne voit pas ce qu’il y a de l’autre côté. Le monde normal voudrait que l’on redescende suite à cette montée, sauf qu’on fois le col passé, on reste à la même hauteur. Et c’est très perturbant. C’est comme si on avait quitté la planète que l’on connaît pour un autre univers avec d’autres couleurs et d’autres phénomènes naturels. Ici la lumière est sombre et puissante à la fois, les routes sont noires et l’on voit se dresser au loin des collines d’un vert électrique, strié de noir. On passe le long d’une centrale hydroélectrique, les fils à haute tension sont soutenus par des pylônes d’une hauteur infinie, on se retrouve une nouvelle fois seul.e.s au monde dans cette atmosphère silencieuse et chargée. La route jusque là goudronnée se transforme vite en une piste caillouteuse qui continuera sur 30 kilomètres, longeant des lacs immobiles et se fondant dans un décor noir et imposant. On croise une station service avec un avertissement : « dernière station avant Landmannalaugar, pensez à faire le plein ». C’est lugubre et poétique en même temps, ça prend les tripes de se retrouver au milieu d’un tel panorama. La piste de cailloux se dévoile peu à peu, et si jusque là la couleur dominante reste le vert, on aperçoit bientôt des éclats d’orange et d’ocre, des dégradés de gris. On arrête le 4×4 à plusieurs reprises, les points de vue sont à couper le souffle. Une force se dégage de ces paysages tranquilles. On arrive bientôt à un point où l’on aperçoit des voitures garées au loin ; d’autres longent le bord de la route. Il faut traverser un gué pour rejoindre le parking, on se dit qu’on ne va pas tout gâcher à deux jours de notre retour et on se gare un peu avant pour finir à pied.

Landmannalaugar et ses couleurs incroyables
On y est. On l’a fait ! On est tellement content.e.s qu’on s’habille un peu trop vite, sans faire attention aux nuages qui deviennent de plus en plus menaçants. On rejoint le centre info pour se renseigner sur les randonnées, on essaye de comprendre les différents circuits et on se lance un peu à l’aveugle sur un chemin balisé. On comprend vite que certaines portions sont fermées dû aux conditions météorologiques mais on avance quand même, confiant.e.s.
Le premier morceau de randonnée est plat, on est dans une ravine d’un vert d’eau sombre et généreux. On continue à ramasser des petits cailloux à droite à gauche, chacun a une couleur différente : rose saumon, jaune, vert bleu, … Il se met à pleuvoir et avec l’humidité, les roches noires deviennent brillantes. On commence à grimper un peu, par ici c’est plutôt rose-orangé et les fumerolles et les solfatares viennent se joindre à la fête, crachées par les flancs d’un volcan rouge. On est au pied du Brennisteinsalda, dressé au milieu des crevasses et des cratères, qui n’a pas l’air si grand (855 mètres de dénivelé) ; des petites marches nous permettent d’attaquer l’ascension et on croise quelques personnes qui descendent ce chemin donc on fonce. En haut des marches, surprise ! La neige. Les balises se fondent dedans si bien qu’on ne voit plus trop ce qu’elles indiquent. On décide de suivre les traces de pas et on continue notre montée pour arriver en haut de cette butte chauve, parsemée de milliers de petits cailloux de toutes les couleurs. Une fois sur le toit du monde, on fait un ou deux tours sur nous-même. On se retrouve avec un panorama à 360° sur Landmannalaugar, ses collines rondes et douces, et ses couleurs improbables qui laissent place à des plaques de neige. D’ailleurs voilà, il se met à neiger. Ça nous fouette le visage, nos petits gants laissent passer le froid en 4 secondes et demie, et on commence à se dire qu’on est peut-être pas au bon endroit au bon moment. On reprend une bouffée d’air frais et on jette un dernier coup d’oeil à cet horizon impressionnant et on redescend l’autre versant du volcan, dans la neige, une nouvelle fois. En arrivant à son pied, on est surpris par un petit cours d’eau qui laisse très peu de possibilités pour avancer, on doit sauter tous les 2 mètres pour éviter de s’enfoncer dans l’eau jusqu’aux chevilles et on comprend un peu mieux pourquoi certaines portions de la randonnée sont fermées. On fait ainsi le tour du Brennisteinsalda, on peut admirer le paysage d’en bas. Fer, sulfure, lave et végétation islandaise se sont mêlés au fil des années et donnent à voir un horizon vallonné, dominé par des couleurs harmonieuses : rouge, bleu, noir, orange se fondent dans la verdure pour un spectacle bigarré et pétrifié. Ce contraste est toujours aussi marquant : la vivacité des couleurs versus la stabilité du paysage.

La satisfaction !
On finit notre randonnée, gelé.e.s et trempé.e.s ; la pluie-neige s’est infiltrée dans nos vêtements, nos doigts sont fripés et nos nez rougis par la température. On serait bien tenté.e.s de se prélasser dans l’eau chaude avec les campeur.se.s, mais l’idée de se déshabiller par cette température nous fait renoncer à tout espoir d’un bain chaud. Sauf que … on a entendu parler d’un plan baignade, à deux heures de route de là où on est. On est plus à ça près pour cette journée à rallonge, c’est notre prochaine destination : Hveragerði et sa rivière chaude, on arrive !
On quitte Landmannalaugar comme on y est arrivé.e.s : avec le sentiment d’avoir vécu quelque chose d’un peu irréel, pas vraiment prévu, pas vraiment dans le monde normal.
***
Je reprends ce récit plus d’un an après l’avoir débuté. La procrastination, les mouvements de la vie, le manque de temps ont eu raison de ma détermination. Shame. Alors les contours seront moins vifs, les impressions peut-être un peu plus hasardeuses mais l’essentiel reste là : c’était le plus beau voyage que j’ai été amenée à faire jusque là.
Nous avons donc quitté Landmannalaugar avec l’idée de faire un dernier crochet par Hveragerði. On est plus à ça près dans notre journée de 42 heures de toute manière. On repasse par cette ville aperçue plusieurs fois depuis la route lors de nos aller-retour et, cette fois, on la traverse et on se gare sur un petit parking en hauteur. Le Guide du Routard parle d’un « sentier facile de 3,4 km » pour arriver jusqu’à une rivière chaude où les gens se baignent. Loin d’être impressionné.e.s, on s’y engouffre. Le « sentier facile » se révèle être une côte sur 3 km. Alors oui, on a dormi en hôtel la veille et ça requinque, mais après les 8 heures de route et la rando la tête dans la neige à Landmannalaugar, le « sentier facile » a bizarrement un peu de mal à passer …
On ne lâche rien et on va jusqu’au bout, croisant troupeaux de moutons ébahis et mares de boue bouillonnantes. Au bout de 45 minutes de marche, la rivière se dessine, avec ses pontons en bois et ses paravents pour les plus pudiques. Les pierres forment des petites piscines à quelques mètres d’intervalle, et plus on monte, plus la rivière est chaude. On choisit notre place, à côté d’un couple en train de choisir son meilleur profil instagram et on se met en maillot de bain. Il doit être 20h, il fait encore jour, et on plonge dans cette eau naturellement chaude.

Un poseur.
On restera là une vingtaine de minutes à barboter, l’eau nous arrive à la taille en position assise. On a presque la tête qui tourne avec la chaleur de l’eau et les vapeurs qui s’en échappent. On accuse le coup de cette journée complètement dingue, on se met en pause. Il est bientôt l’heure de regagner la voiture pour trouver un camping où dormir. On fait le chemin inverse, on croise une petite famille en peine qui a sûrement eu les mêmes infos que nous concernant le « sentier facile » et on les rassure en leur disant que la rivière n’est plus très loin.
Le soir-même nous atterrissons à Selfoss (alors si tu as bien suivi, c’est Selfoss ville, notre première erreur du voyage lorsqu’on voulait se rendre à la cascade Selfoss) au camping municipal, assez simpliste. Un grand champ de gazon bien tondu, les voitures rangées à bonne distance les uns des autres pour ne pas déranger le voisin. Il est 23h quand nous arrivons sur place, pile le temps de se faire cuire une gamelle de pâtes et de se faxer dans les duvets, dans le 4×4 – cela fait bien longtemps qu’on ne déplie plus la tente. Sauf que le temps d’arriver, de retrouver toutes les affaires pour faire la cuisine, de s’installer, de commencer à faire bouillir de l’eau … Le camping coupe le courant. Il est minuit, nous n’avons plus accès aux plaques chauffantes de la salle commune ; je suis désemparée, fatiguée, j’ai faim. Je pars me mettre en boule dans le 4×4, je n’arrive plus à rien. Celim me rejoint quelques minutes plus tard avec une portion de pâtes au fromage : il a fait cuire l’eau avec notre petite bonbonne de gaz, je pleure de gratitude devant ce geste si simple et si touchant. Nous nous endormons rapidement, nous savons que c’est notre dernière vraie nuit en Islande et que demain, nous devons faire nos adieux à cette île improbable.